"LES BESTIAIRES" le livre piquant de Henry de Montherlant !
Maudit soit qui pique
et pense!
Une lecture commencée "à la veillée", confortablement calé sur le lit, à la lumière chaude d'une lampe de table avec abat-jour en vessie... de porc (!), "Les bestiaires" (un volume relié imprimé en 1929)... Cela commence sur les... chapeaux (andalous) de roues! Olé toro! Quand on lit les premières pages, écrites au début des années vingt, publiées en 1926, on a une photographie de la France "anti-corrida"... de 2015 - mais avec à l’Élysée un Président Doumergue... aficionado pur et dur! De piquants portraits d'ethnologue du Français bourgeois et de l'Espagnol titré du début du vingtième et du petit peuple andalou d'une... noblesse et d'un courage admirables.
Sidérant!
Chassez le (toro) naturel... Il revient (à la charge) au galop!
Étonnant de découvrir dans cette lecture que France et Espagne de 1920 sont deux pays habités par des populations tout aussi opposées au sujet de "la corrida" que le sont nos populations de l'an de grâce 2015! Les opinions anglaise et même américaine sont également mises sur le tapis - ou plutôt dans l’arène -, avec les mêmes poncifs, lieux communs, arguments à l'emporte-pièces, formules assassines (au propre comme au figuré) dans le genre... "A des Anglais qui l'invitaient à aller à une corrida, un Américain avait répondu: "Aller à une corrida? Non. Promettez-moi que j'y verrai tuer un homme, j'irai avec plaisir." (L'italique est dans le texte)
Dans la conversation imaginée (rapportée?) par Montherlant, où il confronte "pour" et "contre" à l'occasion d'un déjeuner à Séville, l'on peut entendre le sage et non conformiste français Alban (17 ans et toutes ses dents de jeune aficionado) rétorquer: "- C'est passé en proverbe, senor, que les plus pacifiques des hommes sont les pêcheurs à la ligne. Mais avez-vous jamais vu le poisson pris, dans le panier où on le jette, et qui, à la fois déchiré par l'hameçon et asphyxié par le manque d'eau, agonise au soleil non pas pendant cinq minutes, mais pendant des heures? Moi, senor, qui tue les taureaux, cela me serait insupportable d'avoir un panier d'agonies, comme cela, à côté de moi. Et pourtant, si j'étais directeur de journal et que j'ouvrisse une pétition contre les atrocités de la pêche à la ligne, qui ne croirait que c'est une plaisanterie!".
Et encore, plus loin:
"Je ne comprends la protestation contre les courses que de ceux qui protestent en même temps contre la chasse, contre la pêche, contre la domestication de l'animal, contre le cheval de fiacre, contre l'oiseau enfermé, contre le chien de garde enchaîné dix ans durant, et qui ne mangent ni poisson ni viande, et qui ne se vêtent de rien d'animal, et qui ne tueraient pas leurs poux. Les autres n'ont rien à dire et leurs attaques contre la tauromachie sont ou de la politique ou de la nervosité".
Edition "Bibliothèque reliée Plon" déposée à la Bibliothèque Nationale en 1929
Je sais que d'aucuns, qui se seront égarés sur ce blog, vont maudire M. Henry Marie Joseph Frédéric Expedite Millon de Montherlant, mais ce sera vain puisque... "l'intelligentsia" tricolore qui monopolise les médias l'ont déjà maudit, dès après sa mort!
Image: page 15 du programme du Théâtre Hébertot pour la reprise de "Fils de personne" en 1948
Un roman remarquablement documenté qui explique - jusque dans les moindres détails - et dans un style savoureux, ce qu'est la tauromachie (au sens large), dans ses dimensions... humaines, culturelles, sportives, traditionnelles, historiques, mystiques et religieuses (mais oui!) et... émotionnelles avec le point de vue subjectif du matador. Pour comprendre la tauromachie et la passion des aficionados, ce livre est "définitif"!
Un bémol, de mon point de vue, sur la forme littéraire de l'ouvrage: le corps en est exquis mais l'épilogue est d'une lourdeur par trop indigeste - voire illisible -, tant l'auteur se complait dans les paraboles (et tauroboles), diluant sa fiction dans les étangs salés et vaporeux d'une Camargue carte-postale qu'il marie sans retenue aux cultes antiques de Mithra, aux évocations savantes d'Apis, du Minotaure, de Pan et de toute les sagas des adorateurs du taureau... Un "point final" qui paraît presque apocryphe tant il est "hors style" comparé au récit de la fiction qui précède. Dommage.
Quand le jeune Montherlant était dans l'arène!
Coupures de presse:
"A Burgos, dans une petite course de taureaux privée, un jeune aficionado de quinze ans, de Paris, M. H. de M., a expédié supérieurement son adversaire, ce qui lui valut une ovation." (Journal "Le Toro" de Nîmes, 8 octobre 1911)
Et ce commentaire fameux (et très éloquent!), lourd de signification, lu, à l'époque d'un coup de corne (7 cm dans le muscle) :
"Quel bonheur, mes Abeilles! Montherlant, ce poseur, vient de recevoir un coup de corne dans les reins. C'était exactement ce que je lui souhaitais. Brave taureau, va!" ("La femme de France" - petite correspondance - 24 janvier 1926)
Dans de nombreux ouvrages de l'écrivain, ou pièces de théâtre, "M. H. de M." fait référence à la tauromachie. Un parallèle direct est clairement mentionné dans une note de l'auteur à propos de "Fils de personne" (Voir ci-dessous la légende sous la photo de la page extraite du programme du théâtre Hébertot, en 1948).
Dessine-moi... un taureau!
Talentueux avec la plume et doué avec le crayon: ci-dessous une mine de plomb à main levée (12,9 x 18,cm) publiée dans"Montherlant dessins" (Editions Copernic 1979). L'écrivain a réalisé (entre autres) de nombreux dessins sur les thèmes du taureau et de la corrida...
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