Histoires en livres scènes images et voix

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Le Vol des vautours - Episode 15

Adaptation littéraire du scénario éponyme déposé à la SACD en 2001

  © 2011 - Rémi Le Mazilier

  Tous droits réservés

 

 

 

 

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15 

 

  

 

 

Michael joue sans enthousiasme avec l’ordinateur. Le chaton Souris est assis sur le cul entre le clavier et l’écran, essayant d’attraper un papillon virtuel en mouvement. Catherine tente une conversation :

- Le pauvre Grégoire, il va de plus en plus mal ! Il lui faut maintenant douze heures d’oxygène par jour.

Tu t’en fous ?

 

Elle regarde sévèrement Michael, glacé par l'apparente indifférence de l'enfant puis sursaute, surprise par la sonnerie métallique d’un vieux téléphone. Elle décroche.

- Allo ?… Oui… Oui…, c’est bien ici mais il est décédé…, depuis huit jours… Je vous en prie… Merci… Vous pouvez téléphoner au berger Sébastien… Vous avez ses coordonnées ?… Il est sur la lande avec le troupeau. Vous pouvez le joindre tard dans la soirée. Au revoir Monsieur.

- C’est qui ? demande l’enfant.

- Un journaliste de Paris. Il voulait parler à…(un temps) Jean-Louis.

 

Michael cesse de manipuler la souris de l’ordinateur et affiche un visage triste. Le chaton le regarde avec un air interrogateur, comique. Pour l’enfant, Jean-Louis n’est pas mort. Ou du moins, sa disparition ne lui semble pas définitive. Il est absent. Il est loin. Il est parti quelque part sur la lande, à cheval... Il reviendra. Conviction d’enfant. Michael se raconte une histoire : il sait ce que veut dire « mourir ». Il a vu des brebis mortes, des charognes de chiens ou de chats bouffés par les mouches... Jean-Louis, le garçonnet le sait bien, n’apparaîtra plus dans le cadre de la porte de la maison, sur le seuil du salon rustique. Il ne claquera plus jamais ses brodequins contre la marche. Il ne tapera plus sur ce clavier.

 

Il n’écrira plus de poèmes. Ne dira plus de poèmes…

 

Mais il sera toujours présent dans l’univers de l’enfant - Michael ne l’abandonnera pas à la fosse du cimetière. Les grandes personnes, sa mère, Sébastien et tous les autres du village, disent tous que Jean-Louis est « parti  pour toujours ».

 

Mais pas pour Michael.

 

- J’aimais bien aller observer les oiseaux et les renards avec Jean-Louis..., dit l’enfant, calmement.

- Mon pauvre Michael ! Et moi qui t’ai si souvent empêché de l’accompagner… ! J’ai été sotte !

 

Michael se décolle brusquement de son siège et se jette au cou de Catherine qui le serre tendrement et le câline. « Que la vie est stupide ! Que nous sommes stupides, nous, adultes, dans nos comportements de maniaques ! » se dit en secret la maman. Elle est sur le point de pleurer mais retient son émotion, avec difficulté... Elle se veut forte... Elle est convaincue que sa réserve, cette maîtrise des larmes, est bonne pour l’enfant (je pense qu’elle se trompe).

- Je te demande pardon, mon fils !

 

Souris, à quatre pattes, s’intéresse au clavier. De l’extrémité d’une patte, il appuie sur des touches. Sous l’action de l’une d’entre elles, l’image de l’écran est envahie par un énorme monstre virtuel. Le chaton recule, terrorisé.

- Dis, m’man, on peut aller rejoindre Sébastien ? Ça va être la fin des vacances !

 

Catherine demeure un instant muette, le visage chargé d’émotion, le regard embué fixé sur son petit garçon. L’heure n’est plus aux soupçons idiots construits sur des propos imbéciles. Une mauvaise page est tournée.

- Tu peux y aller… ; tu peux y aller seul, mon amour... J’ai plein de papiers à remplir et du courrier à faire… Prends ton vélo pour le rejoindre.

- Merci maman !

 

Il fait plein de bisous à sa mère.

 

-Marie-Jo te dira où il est... Et tu feras un gros bisou à Sébastien…, pour moi.

- Je t’adore, maman !

 

Ayant posé son vélo au bas du chemin, l’enfant monte vers la ferme, croise le vieux bonhomme Grégoire qui en descend, lourdement appuyé sur ses deux cannes. - Où tu vas, petit ? - Demander à Marie-Jo où est parti Sébastien avec le troupeau... - Mais..., je peux te le dire, moi ! réplique le vieux paysan, un peu vexé de sentir qu’on le croie « hors course ». - (Ton autoritaire de l’enfant:) Il est où ? - Là-bas, (Grégoire tend l’une de ses cannes vers le sud), au-dessus du réservoir, vers les caves à renards. - J’y vais ! (l’enfant fait demi-tour en courant). - Hé ! attends ! écoute-moi un peu... (Michael s’arrête et regarde Grégoire) Demain matin, je voudrais aiguiser des couteaux avec la meule, la vieille meule qui est en bas, près du pigeonnier... Mais avec mes jambes, je ne peux pas actionner la pédale..., tu comprends ? J’ai pensé que tu pourrais m’aider... - Oui ! mais faudra demander à maman !

 

 

 

Dans sa ferme du Mas-du-Buffre, Serge décroche l’un des fusils de chasse suspendus au mur de sa chambre. Des armes « de famille » qui se transmettent de père en fils. Il le dépose sur le lit, ouvre le tiroir d’une grande commode en chêne, en sort une boîte de cartouches qu’il pose près de l’arme. Il prend le fusil, l’examine, ouvre le canon, en inspecte le fût.

 

 

  

Sur le chemin pierreux qui traverse la lande, l’enfant parti de Nivéole pédale avec enthousiasme sur un vélo tout-terrain. Michael est coiffé de sa casquette et porte ses lunettes de soleil. Précédé du jeune cycliste, le véhicule tout-terrain de Serge roule à vive allure sur ce même chemin. Serge voit le petit qui pédale devant lui. Il s’en approche à grande vitesse à tel point qu’on pourrait penser qu’il va le renverser. L’enfant, pédalant de plus belle, effrayé par le poursuivant, tourne plusieurs fois la tête pour voir le véhicule qui le menace. Il pense à un jeu mais n’est pas rassuré. Brusquement, le conducteur fait un crocher pour éviter le petit cycliste à la dernière seconde. Il le dépasse et reprend l’axe du chemin pour disparaître loin devant, suivi d’un nuage de poussière qui enveloppe Michael ; l’enfant s’arrête, essoufflé ; son cœur bat fort. Il faut « récupèrer » après une si vive émotion.

 

Sur une colline, à l’écart du troupeau de brebis qui broutent paisiblement, le berger de Nivéole joue de la flûte, assis par terre, adossé à un gros rocher, le Border Collie à ses côtés. La mélodie discrète des sonnailles enrichit la partition pastorale.

 

Sur le chemin venant du village, un cyclomoteur rouge roule à vive allure, monté par le fils de l’aubergiste, tête nue. Le cyclomoteur rejoint Michael, stoppe à sa hauteur.

 

- Tu as vu passer Serge ? demande Cédric.

- Il a voulu m’écraser !

 

Cédric quitte Michael et continue sa route. Démarrage sur les chapeaux de roues. Crissement de pneus et envolée de petits cailloux.

 

A travers la lande, sur le chemin, le véhicule de Serge ralentit puis avance doucement. Serge scrute la lande. Une main sur le volant, il tire le flacon de la boîte à gants, le débouche avec les dents, boit une longue gorgée tout en conduisant. Dans le rétroviseur apparaît Cédric en cyclomoteur, loin derrière. Serge rebouche le flacon qu’il remet dans la boîte à gants. Puis il stoppe net, manipule le levier de vitesse pour passer la marche arrière. Il recule à la rencontre du cyclomoteur. Dans le rétroviseur, Cédric apparaît de plus en plus proche, à demi gommé par un nuage de poussière, menacé d’être renversé par le véhicule fou. L’adolescent esquive le véhicule à la dernière seconde en se déportant sur le côté, dérape sans tomber. Le véhicule tout-terrain freine brusquement et repart en marche avant, laissant le jeune cyclomotoriste éberlué. Plus loin, sur son cyclomoteur, Cédric trouve un chemin déserté. Il scrute la lande, y voit le véhicule de Serge abandonné, à distance de la piste, au bas d’un terrain fait de roches et de ravins - les « caves à renards ».

 

Serge marche d’un pas rapide, le fusil à la main. Il s’arrête, pose l’arme sur le sol, sort le flacon de son pantalon à poches multiples. Il le débouche, boit, en renfonce le bouchon et le range dans la poche d’où il l’a tiré. Le son de la flûte lui arrive par saccades au gré du vent.

  

Cédric, à la recherche de Serge, abandonne son cyclomoteur, arpente promptement la colline en hésitant plusieurs fois dans le choix de la direction.

 

Sébastien joue de la flûte sous le regard de Pipo qui semble l’écouter. Il ne peut voir la silhouette de l’homme au fusil qui s’approche de lui, à moins de vingt mètres, en se dissimulant derrière les rochers pendant sa progression. Le Border Collie dresse les oreilles en regardant la lande qui lui apporte une odeur d’homme et des bruits suspects. Il aboie. « Qu’est-ce que c’est ? fait Sébastien, qu’est-ce que t’as vu, dis ? ». Il cesse de jouer de la flûte pour observer la lande, vers le nord, la direction que surveille Pipo qui demeure en alerte.

 

Serge est de glace, le regard fou, imbibé d’alcool et de haine. A plat ventre sur un rocher, il observe le berger à distance, dissimulé par un genévrier touffu. Il sort à nouveau le flacon de son pantalon, le débouche, avale une gorgée et le range, rote puis épaule son fusil... On pourra penser à un accident dû à un braconnier, pense-t-il, ou à une vengeance de chasseur.

 

Cédric poursuit Serge ; il est loin derrière. Ayant compris l’intention meurtrière de l’éleveur du Mas-du-Buffre, ne se sentant pas menacé personnellement, il tente une intervention - dont le courage le surprendra plus tard. Il hurle à s'en faire péter les cordes vocales :

- SE-E-E-R-GE !

 

Serge vise et tire. La détonation claque et va de collines en collines parmi les pierriers. L’écho, sinistre, lourd, paraît interminable...

 

Sur le chemin, au bas d’une colline, Michael stoppe brusquement son vélo à l’écoute de la détonation copiée par l’écho. Pour l’enfant, il ne fait aucun doute : un drame se déroule. Il est comme dans un rêve - un drôle de rêve, ou plutôt un cauchemar de couleur de sang. Il saute de vélo, le laisse tomber sur le sol, commence à grimper la colline. Lui aussi, il ne se sent pas en danger. Son intuition est sans appel : le « méchant » éleveur du Mas-du-Buffre veut la peau de Sébastien devenu son ennemi.

 

A suivre...

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25/01/2020
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