Histoires en livres scènes images et voix

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Le Vol des vautours - 11

 

Adaptation littéraire du scénario éponyme déposé à la SACD en 2001

  © 2011 - Rémi Le Mazilier

  Tous droits réservés

 

 

 

 

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11

 

 

Un monceau de cadavres de moutons fait des soubresauts sur la vieille remorque tirée par le tracteur conduit par Sébastien, sur un chemin à travers la lande. De part et d’autre du berger de Nivéole, Catherine et Michael sont assis sur les garde-boue. Sébastien a le visage impassible - celui de ses mauvais moments. Son regard perce la perspective du chemin qui serpente devant lui. Il porte à la bouche un mégot éteint, qui tombe, humecté de salive, sur sa lèvre inférieure, maintenu par la lisière de sa barbe. C’est la première fois que Michael et Catherine voient Sébastien avec une cigarette... ; probablement l’a-t-il acceptée de quelqu’un à l’auberge, avant de partir.

 

Un vaste enclos grillagé protège un espace occupé par des carcasses d’animaux dont il ne reste plus que la peau ou les squelettes, quelques moutons éventrés, un chien, des lambeaux de laine arrachés aux cadavres. Odeur supportable de chair en putréfaction (le lieu est bien aéré et les carcasses vite nettoyées). Des vautours fauves se nourrissent de ces charognes. Bourdonnement incessant, dense, de grosses mouches qui virevoltent sur le charnier. Presque le bruissement d’un essaim d’abeilles en recherche d’un gîte. Sur la piste qui aboutit au charnier, mal tracée, herbeuse, apparaît une fourgonnette blanche qui s’arrête tout près du grillage. Le capot du véhicule porte le dessin de la silhouette d’un vautour et  l’inscription « Parc national des Cévennes » - tout en noir. Le garde puis l’instituteur descendent des places avant de la fourgonnette. Dans le charnier, les vautours prennent leur envol, effrayés par les visiteurs. La porte arrière de la fourgonnette s’ouvre, laissant sortir trois « pionniers », (en chemisette et casquette rouges) :  Xavier, Damien et Benjamin, les trois « lieutenants » de Pierre, avec Cédric. Le garde s’approche du portail cadenassé qui ferme l’enclos, le déverrouille et le tire à lui, aidé de l’instit. Au loin, sur la piste, arrive le tracteur de Sébastien, avec la remorque et son chargement de charognes. La remorque est conduite dans l’enclos à reculons ; le tracteur reste à l’extérieur, moteur arrêté. Sébastien et Jean-Louis, Catherine et Cédric, les scouts et Didier, par deux, saisissent les cadavres par les pattes, et les jettent, un par un, sur les dépouilles du charnier. A l’intérieur de l’enclos, Michael assiste au déchargement. Il se baisse, ramasse un crâne de mouton parfaitement nettoyé, l’examine. Sa mère sursaute : « Jette ça ! c’est dégoûtant ! » Sous les yeux compatissants de Sébastien et l’instituteur qui entrecroisent un regard complice. Michael se débarrasse du crâne.

- Tu ne mettras pas tes doigts à la bouche ! poursuit Catherine.

 

Par le regard qu’il destine à l’enfant, Sébastien transmet sa désapprobation des réprimandes de la mère, et sa compassion devant tant de rigueur. En surprenant cette attention complice, Catherine ferme son visage. L’instit observe la scène du coin de l’œil. Sur les rochers élevés, dans la périphérie du charnier, les vautours campent, ailes repliées, stoïques, observant l’intrusion des humains. Michael, les mains derrière le dos, s’amuse discrètement à déplacer un os avec les pieds ; plus par défi que pour jouer. Sur la piste apparaît au loin un véhicule tout-terrain (différent de celui de Serge). Le véhicule s’approche pour s’arrêter tout près du charnier. Michael reconnaît le tout-terrain qui se trouvait à l’auberge avec celui de Serge, le soir du repas avec les Suisses. Le maire Eugène en descend. Tous s’arrêtent de jeter les carcasses. Il serre la main aux uns et aux autres - sauf à Michael, pour lequel il préfère réserver un geste moins convenu.

- Bonjour Sébastien. Bonjour Jean-Louis, ...Catherine, Didier, Cédric… Salut les scouts !

 

Enfin, il caresse amicalement le crâne de Michael avec un « Salut ! gamin », déclenchant un léger mouvement d’hostilité de l’enfant. Puis il regarde les carcasses de la remorque, siffle pour exprimer son apitoiement.

- Mon pauvre Sébastien ! t’as pas de chance !

- C’est pour me dire ça que tu viens ?

- Pour te donner un coup de main…

- Pas besoin ! on est assez nombreux !

 

Aidé de Jean-Louis, Sébastien saisit une brebis et la jette.

- Je vois bien que tu es fâché…

 

Les autres recommencent à vider le contenu de la remorque.

- Toi et Serge, vous trahissez le causse !

- Sébastien, ne dis pas de sottises ! Serge a le droit de vendre ses ruines et moi j’ai le devoir d’encourager ce qui est bon pour la commune… Et en vendant le domaine de Ferma…

- Tais-toi, Eugène ! La commune n’a que faire de l’argent des Suisses ! Le causse a besoin des moutons, pas des touristes !(En duo avec Jean-Louis, il jette une brebis) Tu ferais mieux d’aider les jeunes à s’installer et d’encourager l’élevage traditionnel. Qu’est-ce qu’un terrain de golf et des hôtels quatre étoiles peuvent apporter aux caussenards ? Ce sont des projets de merde !

- Faut vivre avec son temps, Sébastien ! Faut s’ouvrir à ce qui marche dans l’économie, s’ouvrir sur l’Europe… Le tourisme, Sébastien, c’est l’avenir pour notre région !

- Laisse donc la lande pour les brebis ! Ne la défigure pas en la bétonnant et avec des pelouses bouffeuses d’engrais et d’eau !

- Le causse est un désert de misère, Sébastien. Le tourisme peut en faire un Eldorado ! Il faut restaurer les ruines, les aménager en gîtes. Il faut créer des auberges, des campings à la ferme…

- La lande aux brebis ! clame le berger (puis il jette une carcasse).

- Jusqu’à aujourd’hui, le causse est resté à l’écart du tourisme. Il y a pourtant un vrai pactole à saisir ! Le complexe haut de gamme de Ferma, à vocation européenne, serait l’élément moteur de cette dynamique ! Le projet Ferma est approuvé en haut lieu et Fontanes, le député, l’appuie. Il y aura des subventions européennes !

- Fontanes est un politicien corrompu ! La lande aux brebis !

- Je suis maire, Sébastien ! Je dois penser au bien-être de mes administrés…, à l’avenir de nos enfants.

- Ce n’est pas avec vos politiques de merde que vous allez préparer un bel avenir aux jeunes caussenards !

- Je ne dis pas qu’il faut laisser tomber l’élevage, je suis éleveur et j’aime mon métier ! Mais il faut rationaliser les exploitations et ne pas négliger le tourisme, nom de Dieu !

- En tout cas, ne compte pas sur moi pour marcher dans vos plans… J’ai alerté tous les amis du causse et je me battrai pour vous empêcher de lui nuire ! (Il jette une carcasse.)

- Méfie-toi, Sébastien ! les caussenards ne sont pas tous de ton côté. Tu vas te mettre à dos beaucoup de monde ! Ne t’obstines pas à foutre le caca ! La foudre du ciel est tombée sur tes brebis…, ne déclenche pas la foudre de ceux que tu emmerdes en t’opposant à leurs projets !

 

Le maire a le sang qui lui monte au visage ; il postillonne en montant le ton. Mais on devine qu’il n’est pas animé de mauvaises intentions à l’égard du berger de Nivoliers. Il joue le « négociateur » - en vain.

- Qu’est-ce que ça veut dire Eugène ? Ce sont des menaces ?

- Tu harcèles les chasseurs, tu te fâches avec les éleveurs qui modernisent leurs méthodes et maintenant, tu veux t’opposer aux élus qui ont à cœur d’assurer l’avenir économique du causse… Tu te fais beaucoup d’ennemis, Sébastien ! ...Sans compter tous ceux dont tu détruis les tendelles !

- Parlons-en des tendelles ! Tout maire que tu es, tu pièges les grives en période interdite comme les autres et ça te fait chier que je démonte les tendelles… - Les tiennes, peut-être ! Mais je continuerai à défaire vos pièges. J’ai la loi pour moi ! nom de Dieu !

- Tu es bien gentil, Sébastien mais tu es un utopiste, un berger vieille école, un diplodocus de la vie pastorale ! Le revenu du troupeau que tu gardes couvre à peine ton salaire…
Grégoire et Marie-Jo maintiennent leur exploitation avec entêtement mais ça ne pourra pas durer… ! Et s’il n’y avait pas les subventions européennes…

- Fous le camp! Eugène. 

 

Eugène, le visage rouge sous l'effet de la tension, plutôt atterré que haineux, hésite un instant puis il tourne le dos pour quitter le groupe. Michael lui adresse à son insu une affreuse grimace et lui tire la langue. Le maire se rend à son véhicule, s’y installe et démarre. Le quatre-quatre s’éloigne lentement du charnier. Quatre cadavres de brebis tombent en même temps sur le tas de carcasses. D’innombrables vautours fauves tournoient dans le ciel.

- C’est un con cet Eugène ! vocifère l’enfant, en donnant un coup de pied rageur dans un os du charnier.

- Calme toi, Michael ! fait la mère, et sois pas grossier.

 

 

A suivre... sur ce lien

 

 

 

 

 

 



01/10/2019
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