Histoires en livres scènes images et voix

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Le Vol des vautours - 12

Adaptation littéraire du scénario éponyme déposé à la SACD en 2001

  © 2011 - Rémi Le Mazilier

  Tous droits réservés

 

 

 

 

L'épisode précédent est sur ce lien

 

 

 

12

 

 

Au fond de la salle commune de l’auberge, debout devant la grande cheminée où brûle un feu de bois, Cédric joue de l’accordéon, comme chaque soir, vêtu de son pantalon noir et de la chemise blanche avec le nœud papillon. Des familles sont attablées. Elles dînent. A certaines tables (celles où se trouvent des enfants), on en est au dessert. Pierrette, bien mise, va d’une table à l’autre pour s’occuper des clients. Sébastien, vêtu de son pull-over, est debout devant le comptoir avec un verre de pastis. Derrière le comptoir, en tablier blanc très propre (service oblige), Marcel essuie des verres. Le berger se confie, tristement :

 

- Ça m’a été dur de balancer ces quarante neufs brebis aux vautours, ce matin !

 

- C’est indemnisé par les assurances ! croit utile de rappeler l’aubergiste.

 

 

 

A quelques maison de là, dans la rue centrale, dans un petit salon aux murs de pierre non crépis et poutres apparentes sur un plafond bas, une petite télévision diffuse en couleurs une fiction que personne ne regarde. Des objets de terroir ornent la pièce : roue de charrette, fourche en bois, poteries, peau de mouton… Un blaireau et un renard empaillés. Un magnifique crâne de bélier à cornes torsadées préside le tout (des spéléos qui l’avaient trouvé dans un aven l’ont offert au garde). Lumière tamisée. Dans un coin de la pièce, Jean-Louis est devant un micro-ordinateur relié à une imprimante, avec un gros écran cathodique qui encombre une petite table. Il tape un texte. Sur une peau de vache, à même le sol,  Michael joue avec Souris. Catherine, debout, s’approche de l’enfant.

 

- Allez ! Mic, c’est l’heure d’aller te coucher !

 

- Je pourrai lire un moment dans mon lit ?

 

- Oui ! un quart d’heure ! N’oublie pas d’aller faire pipi.

 

Michael se retire en courant, disparaît dans un petit couloir. Sa mère s’intéresse à Jean-Louis :

 

- Tu ne regardes pas le film ?

 

On entend un jet qui s’écoule dans la cuvette du WC puis une chasse d’eau. Le garde, tout à son texte, répond sur un ton neutre :

 

- Non. 

 

Catherine éteint la télé.

 

- Moi, je suis fatiguée,  je vais me coucher.

 

- Déjà ?

 

- Tu es occupé… !

 

L’enfant revient dans la pièce.

 

- Je vais fermer tes volets, lui dit la mère.

 

- Non ! maman, je veux voir la lune !

 

- Le jour va te réveiller, ma puce.

 

- Non, maman ! Quand je dors, je vois pas le jour !

 

- C’est bon… Bonne nuit, mon Minou.

 

Le garçonnet embrasse rapidement Catherine puis Jean-Louis, repasse dans le couloir d’où il entre dans sa chambre.

 

- Je ferai comme Mic, je vais lire au lit, dit Catherine, sur un ton résignée.

 

- Je termine la saisie de mon poème, ma biche…

 

- Bien sûr…, fait la femme, amère.

 

Elle prend un étui de papier à cigarette sur la table basse qui est près du canapé, en sort une feuille, pose l’étui, saisit un paquet de tabac, l’ouvre, roule une cigarette. Le geste est machinal. Yeux éteints. Ayant fini de rouler :

 

- Où sont les allumettes ?

 

- A la cuisine, ma chérie

 

Catherine se rend dans la pièce contiguë.

 

- Tu fumes trop, Cathie !

 

La femme revient au salon, met la cigarette dans le paquet de tabac qu’elle jette sur la table basse.

 

- Tu as raison...

 

 

 

La porte d’entrée de l’auberge s’ouvre sur la salle. Serge apparaît. Son regard rencontre celui de Sébastien, qui est accoudé au comptoir ; Marcel verse un digestif dans des verres. L'aubergiste craint l'altercation, mais non, Serge fait aussitôt demi-tour et sort.

 

- Vaut mieux qu’il se tire, parce qu’on pourrait en venir aux mains !

 

- Je sais pas si tu as raison de lui en vouloir !

 

- Tu vas pas le défendre ? Et les pneus de l’auto-chargeuse ? Et Michael qui a failli se fracasser le crâne ? …avec ton gosse !

 

Tournant le dos à l’auberge, Serge se rend de l’autre côté de la route, où son véhicule tout-terrain se trouve en stationnement à proximité de la grange de Sébastien. L’accordéon de l’auberge est omniprésent bien que contraint par les murs épais de l'auberge. Chaleur et musique à la Grive. Fraîcheur nocturne à l'extérieur. L’homme, la mine grave, ouvre la portière côté passager, passe la main dans la boîte à gants dont il sort le flacon qu’il avait quand il ramassait les collets. Il le débouche, boit une longue gorgée, rote, le rebouche et le range dans la boîte à gants. Il ferme la portière puis sort d’une poche de sa chemise un paquet de tabac et un étui de papier à cigarette, roule le tabac dans sa gaine de papier soyeux, machinalement, pensif.

 

 

 

Une lampe de chevet éclaire la chambre de Michael ; la lumière est feutrée, douce, apaisante. Sur un mur est accroché un agrandissement photographique sous verre : on y voit Sébastien en berger, la casquette en arrière, assis sur un rocher, le fouet à la main, le chien Pipo couché près de lui. Michael, assis sur le lit, en veste de pyjama, à demi couvert, tourne les pages de l’album de la bande dessinée « Tintin et le Temple du Soleil » - son « Tintin » préféré. Souris ronronne sur les jambes couvertes de l’enfant. Un clair de lune lumineux se donne en spectacle derrière la fenêtre fermée. Michael promène l'indext sur des images qui représentent un condor attaquant Tintin. Il dit pour lui même - et peut-être pour le chat : « Le condor, c’est comme un vautour fauve..., mais les vautours fauve n’attaquent pas l’homme. » Il imagine le petit reporter à la houppe blonde accroché aux pattes d’un vautour, au dessus des collines caussenardes...

 

 

 

Dehors, près de la grange, Serge fouille les poches de son pantalon et en ramène un briquet à essence qui a appartenu à son père, avec lequel il allume la cigarette. L'odeur d’essence puis de tabac grillé se marient curieusement avec les senteurs d'herbe et de crottins. Il aspire une longue bouffée qui fait rougeoyer intensément l’extrémité de la cigarette. Il fait face à la grange, la regarde froidement puis, d’un geste appuyé, fait tomber une cendre. Il tire à nouveau une longue bouffée.

 

 

 

Jean-Louis est sur son clavier. Dans la chambre dont la porte est ouverte sur le couloir, éclairée par une lampe de chevet, Catherine est à demi couchée sur un lit très large, le dos calé sur un énorme coussin, un livre ouvert à la main.

 

 

 

Couché sur les jambes couvertes de Michael, le chaton Souris se dresse brusquement, quitte le lit et bondit sur le rebord intérieur de la fenêtre.

 

- Qu’est-ce que tu veux, Souris ?

 

L’enfant pose l’album et quitte le lit pour rejoindre le chaton.

 

- Tu regardes la lune ?

 

Il soulève Souris, lui fait des bisous sur le dos et le cou.

 

- Attends !

 

Gardant le chaton dans une main, il ouvre la fenêtre.

 

- Regarde !

 

A bout de bras, il maintient Souris au-dehors.

 

- Tu vois la lune ?

 

Le chaton s’agite, voulant se libérer. Il se tord et gesticule. Vaincu, Michael le dépose sur le rebord extérieur de la fenêtre. Souris hésite puis saute à l’extérieur.

 

- Souris ! s’écrie l’enfant.

 

Il se penche à la fenêtre, regarde partir le chaton qui fuit en courant. Pris de panique, il hésite puis, finalement, il chausse promptement ses pantoufles et enjambe la fenêtre. A une vingtaine de mètres, bruit de moteur : c’est Serge qui démarre et s’éloigne.

 

 

 

Devant l’ordinateur, Jean-Louis lance une impression de document. L’imprimante se met en route avec un couinement désagréable. Sur le lit de la pièce contiguë, Catherine est absorbée par sa lecture.

 

 

 

Un garçonnet  en pyjama descend la ruelle comme une flèche. Michael poursuit Souris. La nuit est douce, mais tout de même, en pyjama, l’enfant devrait grelotter ! Mais ce soir, la crainte de perdre son chat le rend insensible à cet inconfort. Le chaton traverse la route étroite, se précipite dans la grange de Sébastien par le petit espace qui demeure entre le portail et le chambranle. Michael court derrière lui.

 

- Souris ! Souris !

 

 

 

Michael ouvre le portillon de la grange, laissant entrer la clarté lunaire qui jette son ombre sur le sol. L’enfant hésite, appréhendant l’obscurité puis entre, passe sur le côté et se fond dans le noir. La nécessité de récupérer son chat lui donne un courage qui l’étonne. De la lumière jaillit du plafond. Michael retire la main de l’interrupteur qu’il vient d’actionner. La chaleur de la grange, emmagasinée durant la journée, enveloppe son corps. Souris saute de botte en botte jusqu’au sommet du tas de paille puis disparaît brièvement, tout là-haut, presque sous la toiture. Il réapparaît au bord de la montagne de bottes, semble inquiet. Apeuré, il miaule en regardant le sol pour quémander secours à son petit maître.

 

- Souris ! ...Attends, je vais te chercher.

 

L’enfant essaie de soulever une échelle en bois couchée sur le sol ; le poids de l’échelle l’empêche de la manœuvrer. Le chat, stressé, miaule toujours.

 

- Attends, j’arrive !

 

Michael n'a plus qu'une alternative : l'escalade les ballots de paille.

 

- Souris ! Souris !

 

 

 

Sous le ciel étoilé, le portillon intégré au portail, resté ouvert sur la grange éclairée par la lumière électrique, impose son rectangle jaune. Un tapis de paille d’inégale épaisseur recouvre le seuil de la grange, créant une frontière incertaine entre le champ et le bâtiment. Sur le côté, une légère fumée monte du sol : la paille commence à s’enflammer depuis un foyer minuscule qui s’élargit rapidement...

 

 

 

Le tumulte des conversations emplit la salle voûtée, mêlée disgracieusement au son de l'accordéon. Sébastien bavarde avec une famille attablée, des « locataires de Marie-Jo » (ses patrons sont propriétaires de deux gîtes situés au village, près de la ferme) ; cette famille compte un garçonnet et sa sœur. La figure du berger est pittoresque et plait aux enfants - qui ne l’avaient pas encore vu.

 

- Monsieur ? ose le garçon, on pourra vous accompagner demain, avec le troupeau ?

 

- Oui, mon bonhomme ! Vous pourrez !

 

 

 

Le garçonnet lève les bras en l’air, enthousiaste.

 

 

 

Le berger de Nivéole multiplie ainsi ses invitations complaisantes à destination des pensionnaires de l’auberge ou des locataires qui occupent les gîtes de Grégoire, afin de valoriser leurs séjours à Nivéole... Cela l’ennuie plutôt, car les touristes sont souvent rasoirs et leurs enfants indociles, irrespectueux ou maladroits avec les brebis. C’est là sa contribution amicale à l’exploitation de l’auberge et du gîte de Grégoire (il fait de même, naturellement, avec ses locataires de Drysas).

 

- Youpi ! on va garder les moutons ! jubile l’enfant avant d’approcher sa sœur pour lui commenter sa victoire.

 

- Vous avez là un futur berger ! réagit Sébastien, comme à l’accoutumée (mille fois, il a ainsi « repéré » un « futur » berger chez un jeune garçon de la ville).

 

La vie pastorale est-elle misogyne ? Je n’ai jamais entendu, sur le causse, une fillette déclarer   vouloir être bergère !

 

 

 

Sur ces mots, l’enfant tend un bras et pointe l’index vers la lucarne située sur le côté ; son attention est soudain sollicitée par un événement extérieur. Il hurle :

 

- Y a le feu ! Y a le feu !

 

Tout le monde regarde vers les lucarnes.

 

- C’est un incendie ! s’écrie le père.

 

- Nom de Dieu ! la grange ! fait le berger.

 

Sébastien bondit au dehors. Tous les clients de l’auberge se lèvent de table et se précipitent à la fenêtre ou à la suite de Sébastien.

 

 

 A suivre...



20/10/2019
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