Histoires en livres scènes images et voix

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Le Vol des vautours - 12.2 et 13

Adaptation littéraire du scénario éponyme déposé à la SACD en 2001

  © 2011 - Rémi Le Mazilier

  Tous droits réservés

 

 

 

 

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12.2

 

 

...

 

 

 

Dans la chambre d’enfant, le lit est vide, défait, la fenêtre grande ouverte. La clarté lunaire sur les murs et le plancher est visitée par des lueurs jaunâtres. Sur le verre du portrait du berger de Nivéole se reflètent des éclats de feu. Mélange confus de voix et de cris venant de l’extérieur.

 

Des reflets rougeoyants lèchent les murs de l’auberge.

 

 

 

De l'autre côté de la route, en contrebas, Marcel actionne un extincteur devant le portail de la grange barré par une nappe de flammes ; il est en tablier de cuisine. Sébastien, Cédric et Jean-Louis sont à ses côtés. Pierre, le chef scout, court chercher un extincteur dans le marabout tout proche. Quelques villageois se tiennent en retrait avec la multitude de scouts avec Catherine, en robe de chambre. Plus en retrait encore, les clients de l’auberge. Marcel s’excite :

 

- Il faut des seaux d’eau !

 

- La lumière dans la grange… ? s’étonne Sébastien. Ecoutez… ! Vous entendez ? (Des cris aigus viennent de la grange.) Quelqu’un appelle dans la grange !

 

- Un cri de fille ! opine Marcel.

 

- Nom de Dieu ! C’est Michael ! fait Sébastien.

 

 

La mère conteste, sans convaincre :

 

- Mais non, il est dans sa chambre !

 

 

 

Sébastien franchit promptement le seuil enflammé et pénètre à l’intérieur du bâtiment. Enjambant les flammes qui courent sur le sol tapissé d’un amalgame de paille et de foin. Il inspecte la grange en se protégeant le visage. Une fumée épaisse se lève du sol. Le feu grimpe inexorablement les bottes du côté de la paille. Dans le tumulte de l’incendie, tandis que le brasier des abords de la grange et du talus d’herbes sèches illumine la route toute proche, Catherine court à s’en couper le souffle jusqu’à la petite maison caussenarde où son fils devrait être couché...

 

 

 

Le feu embrase progressivement la base des deux piles de ballots qui se font face, séparées par une large allée - paille d’un côté, foin de l’autre. La paille s'enflamme beaucoup plus rapidement que l'herbe séchée. Les cris répétés de Michael descendent du pailler. Sébastien lève les yeux. Tout en haut des ballots apparaît la frimousse de l’enfant, terrorisé. Il s’égosille. Il tousse, suffoquant dans la fumée. Sa figure est très rouge.

 

- Sébastien ! Sébastien !

 

- Michael… ! Reste où tu es ! Je vais te chercher.

 

 

 

Catherine se précipite, comme folle, dans l’étroit couloir qui conduit à la chambre de son fils. Elle ouvre la porte et constate, horrifiée, que le lit est vide et la fenêtre ouverte. Elle se prend la tête et hurle comme une hystérique. Affreux cauchemar.

 

 

 

En haut des ballots, Michael ne cesse de tousser. Il s’asphyxie. Sébastien se saisit promptement de l’échelle couchée parmi les flammes et la cale, droite, contre le pailler. Il grimpe dans la fumée, rejoint l’enfant à présent muet, qui serre Souris sur sa poitrine. Le feu s’intensifie au bas de la grange et des flammes s’en prennent à l’échelle, dont le bois est sec comme une allumette. Sébastien, qui sue à grosses gouttes, quitte son pull-over qu’il jette sur la paille. Il met le chaton dans sa chemise.

 

- Accroche-toi à moi, Mic et tiens ferme !

 

 

L’enfant grimpe à cheval sur le dos de Sébastien et se cramponne très fort. Il a l’étrange impression d’avoir déjà vécu cet évènement tragique ; en fait, sa situation ressemble fort à une scène d’action mainte fois vue à la télé... Comme à la télé, il s’en sortira ! et le berger de Nivéole - son héros, son sauveur -, le tirera d’affaire ! Zorro se suspend à une poutre qui traverse la grange dans sa largeur au-dessus de l’embrasement. Sébastien n’a jamais fait ça : mais aujourd’hui, tout lui semble possible... Lui, il ne peut pas mais Zorro, si ! Il progresse à la force des bras le long de la poutre dans un crépitement de feu, enrobé d’une fumée étouffante. Il sait que ses bras sont capables. Il ne lâchera pas. Au fait, il se souvient que cet exercice, il s’y est plusieurs fois mesuré, quand il était soldat, avant de partir en Algérie - mais pas au-dessus des flammes !

 

Il ne lâchera pas. Il ne peut pas lâcher. Pour le gosse d’abord. Le sort du gamin est dans ses biceps. Il n’est pas croyant mais il pense au cousin de Marie Jo - le chanoine -, ce fervent catholique qu’il a si souvent contré ! En lui-même, Sébastien se dit que s’il y a un bon Dieu, c’est le moment pour lui de se montrer... d’intervenir pour le petit. Un Dieu d’amour ne peut livrer aux flammes un gamin, au seul motif qu’il a voulu récupérer son chat ! Sébastien en est convaincu : il réussira, il sauvera le gosse... L’odeur de la fumée, de la paille et de l’herbe brûlée, mêlée à celle du berger - odeur de chemise imprégnée de vieille sueur et de lanoline -, emplit les narines suintantes de  l’enfant. C’est l’odeur du sauveur, l’odeur de son Zorro ! Sébastien parvient au faîte du tas de ballots de foin, qui n’est enflammé que sur la base, y prend pied. Michael se détache de lui. Tous deux sont trempés de grosses perles de sueurs et des ruisseaux zèbrent leurs visages et inondent le creux de leur cou. Leurs vêtements les collent. Sébastien, suivi de l’enfant, descend la pile de fourrage en s’agrippant au mur de ballots sur le côté non encore atteint par le feu. Il veille à chaque mouvement du gamin, guidant d’en dessous ses pieds pour leur assurer une bonne prise, comme le moniteur d’escalade soucieux de guider les gestes maladroits de ses élèves. Leurs doigts s’agrippent nerveusement au fourrage pressé, égratignés par les piquants de chardons broyés par la botteleuse - mais ces blessures là leurs sont indolores. L’air brûlant et enfumé qui les enveloppe leur fait oublier tout autre sensation charnelle. Sautant sur le sol de foin tassé non encore enflammé, ils quittent la grange par la porte latérale qui conduit à un grenier. Du grenier, occupé par une montagne de seigle fraîchement rentré, dans l’odeur forte et irritante de la céréale, il se libère en faisant coulisser un lourd portail de tôle, et surprennent sauveteurs et curieux, qui avaient concentré toute leur attention sur la partie embrasée du bâtiment...

 

- Les voilà ! crie quelqu’un.

 

 

Catherine se précipite vers son petit qui se jette dans ses bras. Sébastien s’éponge le front, le regard égaré, semblant libéré d’un mauvais somme. Un mot, seul, tombe de sa bouche, sur un ton sobre et humble : « Voilà ! »

 

 

 

Une sirène de pompiers, lointaine puis progressivement plus proche, annonce les secours officiels.

 

 

 

A l’intérieur de la grange, le feu embrase la totalité du fourrage, dans un frémissement sonore qui s’évade du portail comme de la porte d’un four. La gerbe de lumière incandescente de Nivéole parasite le ciel, visible des coins les plus reculés du causse.

 

 

 

 

13

 

 

 

Les moutons, éparses, broutent la maigre pitance de la lande. A cheval, le garde du Parc se tient près du berger de Nivéole. Le village sans clocher est loin, au nord, avec ses murs gris-blanc et ses toitures gris-sombre, tout petit îlot habité planté au cœur de la lande, isolé comme les autres villages du causse.  Son attache à flanc de colline et ses quelques arbres, ses champs de luzerne, rappellent que la vaste étendue nue et inhospitalière reste un habitat humain. Le berger, debout, s'appuie sur son bâton. Le Border Collie est couché près de lui, sur le ventre, attentif au troupeau.

- Ils me font chier ces touristes ! ronchonne Sébastien. Hier, des locataires de Marie-Jo m’ont accompagné, toute la famille… Ils ont deux gamins. Le garçon n’a pas cessé de courir après les brebis… Ça fait trois fois qu’ils viennent me gonfler ! Ben tiens..., c’est le gosse qui a vu le premier l’incendie, à l’auberge.

- Ah ! bon !

...

- L’incendie... Tu me diras ce que tu voudras..., moi, je suis sûr que c’est Serge qui a foutu le feu à la grange !

- Tu crois qu’il en aurait été capable ? Mettre le feu, c’est criminel !

- Il est prêt à tout pour me nuire. Quand tu penses que Michael aurait pu griller vif !

- Tu t’es conduit en héros, Sébastien ! Tu as sauvé le petit… et Cathie te doit une fière chandelle !

- Elle me doit une fière chandelle !

...

...Et pourtant…, j’ai l’impression qu’elle me fait la gueule ! Michael ne vient plus garder…, elle le retient à Nivéole. C’est à peine si je le vois au village !

- Je n’ai aucune autorité sur le gosse, tu le sais. Cathie le possède sans partage.
C’est d’ailleurs très gênant.

...

...Pour être franc, je sens chez Cathie une réticence à te laisser le gosse… Ça remonte bien avant l’incendie.

...

...Tu devrais lui parler, Sébastien, je crois qu’il y a un problème.

- Je suis fautif pour l’accident avec la remorque mais pas pour l’incendie ! Le gamin y est allé tout seul dans la grange : il poursuivait son  foutu de chat !… Et puis, merde ! allez comprendre les bonnes femmes !

...

- Pour changer de sujet…, hier soir, je l’ai piégé le petit duc de Nivéole !

- Ah bon ! t’as réussi ?

- Ce devait être onze heures. J’ai imité le cri pendant vingt minutes. Au moment où j’allais abandonné et rentrer à la maison…, tiou… ! tiou… ! voilà qu’il me fait la cour !

- Et c’est comme ça que tu fais des infidélités à Catherine, dis ! (Il rit.)

 

Un bruit de moteurs pétaradants envahit progressivement le paysage. Une sorte de bourdonnement d’abeille, métallique. Trois motards tout-terrain sillonnent la lande hors piste. Les motos crachent des panaches de fumée bleue. Sébastien tend son bâton vers les motards qui foncent dans le lointain. Pipo se dresse sur ses pattes et scrute la direction indiquée par son maître. Il aboie, comme pour rappeler aux intrus qu'ils sont en contravention...

- Regarde…, ces cons de motards ! marmonne le berger. Ils sont dans le Parc et c’est interdit. Jean-Louis, tu vas intervenir, dis ?

- Ce n’est pas facile de les poursuivre à cheval sur la lande…, rétorque le garde, embarrassé.

- Si tu laisses faire les contrevenants, Jean-Louis, ce n’est pas la peine qu’il y ait des lois ! Et le Parc ne sert à rien... (Visage ennuyé de Jean-Louis).

...

... Je ne te comprends pas, Jean-Louis… Je te vois toujours sortir un carnet pour écrire des poèmes mais jamais pour dresser des procès-verbaux ! (Un temps) Je ne te comprends pas.

 

Le reproche est amer. Le visage du garde s'assombrit. Au loin, les Trois Motards zigzaguent sur la lande et font une ronde endiablée en soulevant de la poussière. Jean-Louis, figé sur le cheval qui trépigne et s’agite, regarde la lande fixement. Puis il lui donne un coup de chevilles aux flans et le voilà qu’il galope à travers la lande, saute des monticules de pierres, dévale des pentes rocailleuses, grimpe des collines de lauzes.

 

A la poursuite des motards.

 

- Nom de Dieu ! il va se rompre le cou ! se dit Sébastien, à haute voix.

 

Les trois motards cessent de faire des cercles et s’éloignent en accélérant, fuyant le garde à cheval. Ils bondissent dans les airs puis disparaissent, probablement en aval d’une barre rocheuse peu élevée, puis réapparaissent avant de descendre une pente. Un rodéo. Le cavalier saute la même barre rocheuse. Sébastien, à distance, suit l'action avec inquiétude. Il sait qu'il est le catalyseur du zèle qu'affiche subitement le garde du Parc. Un zèle dangereux. Un zèle déraisonnable. Il n'a pas voulu cela. Ses craintes le tourmentent...

 

Puis plus rien.

...

Les motards se sont évaporés dans la lande.

...

Le vrombissement n'est plus qu'un lointain bruit contre-nature sur le point de s'éteindre.

...

Le cavalier ne réapparaît pas après la barrière rocheuse. Sébastien s'interroge, s'impatiente. Son intuition... Il faut aller voir. Il court, dévale les pentes et les rochers; le chien le suit sans comprendre. Au bas de la barre rocheuse, le cheval est couché sur le côté, entre des rochers; il hennit sans énergie, tente en vain de se relever. Le garde gît sur le sol. Près de sa tête, des taches de sang maculent la roche. Le chien renifle le corps. Sébastien s’en approche, s’agenouille. L’accident est facile à imaginer : le cheval qui se reçoit mal et bascule sur le côté, Jean-Louis qui est projeté à quelques mètres; sa tête cogne un rocher...

- Nom de Dieu ! hurle Sébastien.

 

Un sentiment de culpabilité le saisit.

- Jean-Louis, tu m’entends ?

 

Sébastien déboutonne avec empressement la chemise du blessé et se colle sur son cœur, ne parvient pas à entendre un battement, soulève la tête, sans vie, dont les yeux sont grands ouverts. Le regard fixe, comme celui d'un mannequin de cire, ne laisse aucun espoir. Le corps est chaud mais le regard est déjà froid. Jean-Louis n’habite plus ce corps.

...

 

Où est-il ? Poursuit-il encore les contrevenants pour protéger sa lande ? Se tient-il, invisible, tout près de Sébastien, l’âme sereine, satisfait d’avoir accompli son devoir de garde - au sacrifice de sa vie -, mais déçu de n’avoir pas atteint son objectif ? Le caussenard incrédule et athée (peut-être est-il plutôt agnostique : il ne sait jamais posé la question) prend soudain conscience de la vanité de ses certitudes et de la futilité de ses exigences...

- Nom de Dieu !

 

Le carnet de poèmes dépasse d’une poche de la chemise du garde. Sébastien le retire, le considère, le palpe avec tristesse. « Quel con  je suis ! tranche-t-il, atterré, quel con je suis ! »

 

A suivre...

 



11/11/2019
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