Histoires en livres scènes images et voix

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Enfants de gouttières - Episode 9

Adaptation littéraire du scénario éponyme déposé à la SACD en 2002

  © 2011 - G.F. Rémi Le Mazilier

  Tous droits réservés

 

 

 

Épisode 9

 

Le chat de M. Lucien

 

 
Je savais que je commettais une folie !

 

Mon plan était bien réglé : je ne resterais sur le toit qu'« un moment », disons peut-être une heure..., le temps de regarder le ciel depuis ce poste d'observation providentiel. Personne ne pouvait se rendre compte de mon absence dans la chambre. Le surveillant n'inspectait certainement pas les dortoirs au cœur de la nuit. Il y avait un risque que j'acceptais cependant : un hurlement de Jean-Marie suite à un cauchemar, cri qui forcément réveillerait M. Régis et l'amènerait dans notre chambre ! Le cas s'était bien produit avec le petit François, la semaine dernière... Je me convainquais que cela n'allait pas se reproduire de sitôt, que mon compagnon de chambre dormait du sommeil des justes, bref, que rien de pareil ne pouvait arriver cette fois ! D'ailleurs, je ne croyais pas notre maître d'internat capable de me dénoncer à la mégère ni même au directeur; cette « affaire » resterait forcément entre nous - même après un dur savon et la mémorisation d'une récitation de M. de La Fontaine en guise de punition !

 

 

La fraîcheur qui m'avait saisi dans la cour me commandait d'aller chercher une couverture. « Je reviens ! » lançai-je au chat. Le minet demeurait à présent immobile, à un mètre de la lucarne, me fixant de son regard de chat, pénétrant, étincelant malgré la nuit. Il miaula une dernière fois comme pour me dire « J'ai compris, je t'attends ! ».

 


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Je trouvai Jean-Marie dans une position identique à celle de quand je l'avais quitté. Décidément, ce garçon était un sacré dormeur; un tremblement de terre le réveillerait-il ? Je tirai une couverture de mon lit, lentement, doucement, la roulai sous un bras et quittai à nouveau ma chambre avec la petit lampe torche dans une poche de ma veste de pyjama.

 

 

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Je commençais par passer la couverture à travers la lucarne, la poussant sur la toiture. Je ne voyais ni n'entendais le chat. Mes bruits, si discrets qu'ils fussent, l'avaient-il chassé ? Une fois la couverture jetée à l'extérieur, je redescendais de la cuvette pour éteindre l'ampoule du cabinet. La torche dans une main, je grimpai à nouveau pour finalement me glisser dans l'excavation étroite, tel un spéléologue... J'eus de sérieuses difficultés car la tige de fer qui maintenait le cadre vitré faisait obstacle à mes contorsions. Il me fallut ôter le chandail de laine, que je fis me précéder dans la lucarne. Un gros clou servait de taquet de fixation de la réglette métallique; j'y déchirai d'une longue balafre une jambe de mon beau pyjama neuf et m'écorchai en même temps ! Je dus laisser choir ma lampe de l'autre côté de la lucarne; elle tomba sur une plaque de zinc qui habillait le seuil extérieur du vasistas. Le choc produisit un bruit qui me parut catastrophique. Je me rassurai en me disant que le cabinet était suffisamment éloigné des dortoirs et que ce bruit sec était surtout amplifié par ma peur d'être surpris.

 

 

Je me redressai sur une large tôle qui faisait office de caniveau, auquel aboutissaient trois pans de la toiture dont la couverture du cabinet. Les pentes de tuiles rondes étaient séparées par ce chéneau qui formait un angle droit dont une branche aboutissait à une gouttière tombant sur la cour, au niveau du bâtiment annexe qui abritait le cinéma.

 

 

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J'entendis le chat marcher à quelques mètres de moi, invisible. Il s'approcha pour se frotter autour de mes jambes. Je le caressai. Debout sur la tôle de zinc, la tête dans les étoiles, je me sentais immensément grand ! Ma situation était onirique. Une étoile filante traversa le grand ciel noir puis encore une autre, dans un sens opposé. Je fis quelque pas bien assurés sur le caniveau dans l'axe des dortoirs, en direction de l'est. Jamais je n'avais connu joie aussi vive, aussi profonde; j'en frissonnais d'extase. Un souffle de vent du nord courut sur les tuiles rondes, siffla dans les chapeaux des cheminées qui se dressaient ici et là, provoquant un son quelque peu fantastique - un son de flûte de lutins des gouttières ! Je demeurai un instant immobile, la nuque en arrière, retrouvai l'interminable ruban à volutes de la Voie lactée et Cassiopée qui s'y frottait, la Grande Ourse et toutes les constellations indiquées par M. Régis. Le grand tableau noir céleste, la salle de classe de l'univers, tout cela était à moi, rien qu'à moi ! Je ne pensai pas une seconde que d'autres âmes, des millions d'âmes ailleurs sur la planète, pouvaient tout aussi librement que moi assister à cette leçon envoûtante... J'étais à un cours particulier ! Quant au chat, félin à demi sauvage aussi noir que la nuit, dont le poil soyeux portait de discrets éclats de brillance, c'est moi qu'il regardait en curieux, avec ses deux yeux qui brillaient comme les étoiles. Je ramassai mon chandail, m'en revêtis puis me calai assis, adossé au pan de tuiles de terre que perçait le vasistas, le derrière sur le zinc froid, les jambes légèrement surélevées sur le pan opposé. Je m'enveloppai de la couverture en n'en laissant sortir que ma tête et le cou, les bras croisés sur le ventre, en position contemplative. Le chat hésita quelques minutes, vint se blottir entre mes jambes, s'aménagea une sorte de niche douillette dans les plis de la couverture.

 

 

Mes yeux ne quittaient plus le ciel et le chat de M. Lucien se mit à ronronner. En quelques minutes, la chaleur du petit félin transperçait la couverture et me réchauffait comme une bouillotte.

 

 

Si l'observatoire était à la hauteur de mes ambitions..., Bébé-Lune ne voulait toujours rien savoir ! J'avais de plus en plus de mal à scruter la profondeur galactique et mes paupières devenaient pesantes, mes yeux me piquaient et des taches blafardes dansaient comme des feux follets devant mes rétines.

 

 

Sans m'en rendre compte, je m'endormis.

 

Ce qui va suivre, je ne le sus que plus tard, lorsque M. Régis me raconta sa sombre nuit...

 

Notre maître dort profondément. Soudain, un cri le réveille. Ce cri, il l'a entendu dans son rêve. Il ne se souvient pas du rêve... mais il a encore le cri dans la tête. Il s'interroge : « Ai-je rêver ? ». Nul ne peut lui répondre. Il se cale sur les coudes, scrute le silence de l'étage, allume la lampe de chevet. Il pense spontanément au petit François qui a cauchemarder la nuit précédente. Il doit aller vérifier. Un interrupteur sur le seuil de sa porte lui permet d'éclairer le couloir. Chaussé de ses charolaises, il fait les quelques mètres qui le séparent de la chambre N°3. Le petit François, couché sur le dos sous deux couvertures, dort paisiblement une main accroché mollement au traversin. Le garçonnet a des perles de sueur sur le front; il transpire. M. Régis rabat la première couverture au pied du lit, pose la paume de sa main sur le front humide du petit; il n'a pas de fièvre. Ses compagnons de chambrée dorment eux aussi à poings fermés, l'un à moitié découvert. La nuit est plutôt tiède dans les dortoirs où la chaleur du jour fait de la résistance. « Un grand ? », est-ce un grand qui aurait crié ? Derrière la porte N°1, tout est normal; les six garçons dorment comme des bébés. « Jean-Marie ou Christophe, alors ? ». Son inspection des dortoirs s'achève sur la chambre N°4. Près de la porte, il trouve un Jean-Marie qui ronfle comme une locomotive - le garçon doit avoir le nez « pris ». En revanche, la pénombre autorise le doute; il semble que le lit d'en face, celui de Jean-Marie... 

 

L'ampoule qui pend du plafond s'éclaire avec le doigt posé sur le taquet de l'interrupteur : le lit de Christophe est vide, une couverture en désordre en recouvre les draps blancs, les vêtements du garçon reposent pêle-mêle sur la chaise. Le maître d'internat a un pincement au cœur : il a déjà constaté, au sortir de sa chambre, que le cabinet est éteint au bout du couloir - le cadre vitré du dessus de la porte en atteste. Un pressentiment l'assaille : où donc un pensionnaire peut-il être, au beau milieu de la nuit, si ce n'est dans sa chambre ou au WC ? Il reste une dernière pièce à visiter : la salle des lavabos, oui..., c'est cela..., l'enfant est allé boire au robinet ! M. Régis s'y rend en pressant le pas. Devant la salle vide, habitée par une odeur d'humidité, le surveillant, accueilli par le bruit du goutte à goutte d'un robinet qui fuit, se sent envahi par une sourde angoisse. Décontenancé, il réagit comme nous le ferions tous : il appelle à voix haute, crie le nom de Christophe comme si le garçon s'était caché - ce qui est impossible parce que l'on ne peut se dissimuler nulle part, le bac à douche n'ayant pas de rideau. Le W.C. est tout aussi vide. Machinalement, le maître d'internat y actionne la chasse d'eau pour évacuer l'eau souillée de la cuvette. La tabatière, demeurée grand ouverte, laisse entrer un air froid qui le fait frissonner; instinctivement, il tire à lui la tige portante du vasistas.

 

Le « clac » du châssis vitré et le bruit de la chasse d'eau et de son remplissage n'atteindront pas le monde de mon séjour onirique...

 

A suivre...

L'épisode 10 est sur ce clic : " Sauvetage" 

 

 

 

 

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17/09/2017
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