Le Vol des vautours - Episodes 4.2 et 5
Adaptation littéraire du scénario éponyme déposé à la SACD en 2001
© 2011 - Rémy Le Mazilier
Tous droits réservés
L'épisode précédent est sur ce lien
Le regard explorant le paysage, Sébastien s’interroge :
- Où est Pipo ?
...
- (Dune voix forte :) Pipo !
Le chien apparaît en courant vers son maître. Avant que Pipo l’ait rejoint, Sébastien tend son bâton en lui imprimant d’amples mouvements semi-circulaires. Le chien y voit des instructions, que le berger précise par ses ordres en patois cévenol, ses onomatopées et ses sifflements savamment modulés. Pipo court vers le troupeau, s’immobilise un bref instant pour observer le maître, marque quelque hésitation puis va au troupeau, décidé, en aboyant pour le resserrer. Sébastien quitte des yeux chien et troupeau :
- Où il est passé le gamin ? (Voix forte :) Michael !
Il avance dans les ruines.
- Michael ? Tu te caches !… Ha ! oui, il se cache, conclue-t-il comme s’il était entendu par l’enfant.
Dans la grange, sur des ballots de paille en désordre et partiellement défaits (paille qui est utilisée par Serge pour la litière de la bergerie éventrée attenante à la grange, et que son troupeau habite occasionnellement), Michael, couché sur le ventre, se dissimule pour ne pas être vu depuis le porche, dont un battant est à demi ouvert. Chaleur avec odeur de paille et de poussière. Dans l’entrebâillement du portail apparaît la silhouette carrée de Sébastien, auréolée de la lumière du dehors. Il entre en écartant le battant, s’arrête pour épier l’intérieur. Le silence y règne, troublé par le seul bruit des mouches. Un généreux rayon de soleil pénètre aussi par une large ouverture qui perce le fronton, trou provoqué par la ruine des vieilles pierres. Michael secoue la paille vigoureusement pour la faire bruire. Sébastien s’approche de la cachette, surprend l’enfant, bondit sur lui.
- Bouh ! fait-il de sa grosse voix et avec des yeux ronds.
- Bouh ! renvoie l’enfant.
Sébastien chatouille les côtes de l’enfant qui s’esclaffe en gigotant. Michael rit à s’étouffer. L’enfant se met sur le dos, se retourne pour faire face à Sébastien, saisit une poignée de paille et se redresse pour lui en étaler sur le visage, lui en mettre dans la bouche. Il saisit une autre poignée qu’il éparpille sur les cheveux de son agresseur en faisant tomber sa casquette. Sébastien s’écarte de l’enfant. Celui-ci lève les jambes en l’air et les agite en riant. Sébastien, à genoux, crache les brindilles qui dépassent de sa bouche, se nettoie les cheveux.
Bruit de moteur à l’extérieur.
- Qu’est-ce que c’est ? réagit Sébastien en ramassant sa casquette.
A genoux, il s’immobilise, attentif aux bruits du dehors. L’enfant reste jambes en l’air. On marche près de la grange. Une silhouette surgit sous le porche à contre-jour. Sébastien se redresse, fait face au porche sur lequel demeure Serge, immobile et muet. Sébastien passe les mains sur ses bras et le torse pour en chasser les brindilles. L’éleveur désormais détesté de Sébastien ne dit mot ni ne s’attarde ; il quitte aussitôt la grange pour retourner à son véhicule tout-terrain, dont la portière avant gauche est restée grande ouverte et démarre en trombe dans la direction opposée à celle du troupeau.
...
Non loin du village et lui tournant le dos, sur la piste à travers la lande, marche une silhouette féminine qui s’aide d’un bâton. Chapeau, pantalon, chemisette, petit sac à dos coloré aux teintes fluo. Le véhicule de Serge stoppe brusquement lorsqu’il croise la marcheuse. La femme s’arrête. La glace de la portière gauche est baissée. Le bras plié en appui sur la portière, Serge se penche pour parler à Catherine. Mielleux :
- Bonjour, Catherine.
- (Avec réserve :) Salut !
- J’ai vu Jean-Louis au charnier. Je lui ai déposé une carcasse de brebis météorisée.
...
...Tu n’as pas peur de l’orage ?
...
... (Puis, changeant de ton :) Ha ! j’ai vu aussi Sébastien avec Michael, à Ferma. Ils étaient dans la grange… Ils se vautraient sur la paille…
...
Catherine fixe Serge froidement.
...
- J’sais pas ce qu’ils faisaient tous les deux mais…, enfin…, vous devriez surveiller de plus près les jeux de votre petit garçon avec Sébastien !
Sur ces mots, le véhicule démarre en trombe. Catherine serre les dents ; pour elle :
- Salaud !
Elle demeure un bref instant immobile et pensive puis reprend sa marche d’un pas alerte. Ce satané Serge, « ce fumier », depuis le coup de l’auberge, pense-t-elle, il n’aura de cesse de nuire à Sébastien qui est le farouche opposant à ses projets... Il n’a donc rien trouver de mieux - l’infâme pourriture -, que de calomnier le berger de Nivéole de la plus basse des manières !
Elle décide de ne plus y songer ne serait-ce qu’une minute.
...Mais alors qu’elle poursuit son chemin, les paroles de Serge martèlent constamment son esprit. Impossible de faire abstraction de ces propos incendiaires. Serge va-t-il réussi son coup ? Non, Catherine ne peut donner crédit à cette détestable accusation.
...
...Mais enfin, ne faudrait-il pas réfléchir un instant - un instant seulement -, à l’éventualité d'une épouvantable situation ? Après tout, connaît-elle vraiment le berger de Nivéole ? Que sait-elle, en fait, de sa vie privée ? Nul ne lui connaît d’aventures féminines, présentes ou passées. Quand il cause des femmes, ce n’est qu’à propos de leur « gentillesse » ou de leurs maniaqueries ou autres défauts ! Jamais un mot sur leur pouvoir de séduction, leur charme féminin, « l’attrait » que telle ou telle femme exercerait sur lui. De fait, Sébastien est un vieux garçon, la cinquantaine passée, qui ne semble pas s’intéresser aux femmes. Ses meilleurs amis sont des hommes mûrs ou de jeunes gens, du causse ou des résidents temporaires. La compagnie des enfants semble lui plaire - bien qu’il se plaigne du dérangement qu’ils lui causent. On lui a connu quelques gamins qui lui étaient particulièrement fidèles... Michael deviendrait-il un de ceux-là ? Cette amitié naissante, privilégiée, que le berger solitaire affiche à l’endroit de Michael cacherait-elle des objectifs inavouables ? Pourquoi donc Sébastien s’attache-t-il au garçonnet et témoigne tant d’indifférence à la mère ? Une légère angoisse la saisit. Le battement de son cœur s’accélère sous l’effet de l’émotion qu’engendre ces interrogations. Serge aura donc réussi a semer le trouble. Elle qui a régulièrement à traiter des cas d’abus sexuels sur enfants, ou d’inceste avec mineurs, serait-elle aveugle dans son propre camp ? Elle se rassure en se disant que la majorité des cas sont affaires de familles ou de proches ; d’ailleurs, en quinze ans de carrière, elle n’a jamais eu à connaître une affaire extérieure à l’environnement familial des jeunes victimes. Et puis, Michael est un enfant bien dans sa peau, au caractère affirmé, fort d’une autonomie précoce... Si quelqu’un essayait de le « toucher », il ne manquerait pas de s’en confier, n’est-ce pas ? Elle s’arrête, tire une gourde de son sac et se désaltère d’une longue gorgée... L’eau est déjà un peu tiède mais cela lui importe guère. Elle va désormais marcher plus lestement, impatiente de rejoindre son fils et de le voir en présence de Sébastien. Là-bas, elle pourra se faire une idée...
Une multitude de vautours s’acharnent sur les carcasses du charnier. Les quelques grands corbeaux qui s’y trouvent prennent leur envol. A proximité, Sébastien et Michael sont assis sur un gros rocher qui le surplombe, entre les arbres et les fourrés. Sébastien regarde à travers les jumelles puis les passe à l’enfant.
- Pour que les vautours bouffent, il faut que le cadavre soit en voie de décomposition et ils attendent, en plus, que le grand corbeau attaque le…, le cadavre, avant qu’eux se mettent à table !
...
...Jean-Louis pourrait t’y amener quand il apporte des carcasses ?
- Maman ne veut pas. Elle dit que je peux attraper des microbes avec les bêtes mortes.
- Elle a peur que tu bouffes les charognes ? Elle déconne, ta mère !
...
A travers la lande où roule le tonnerre, sous une pluie diluvienne et un ciel bas, sombre et sinistre, froid comme le marbre gris d’un tombeau, le berger de Nivéole et l’apprenti pastoureau ont couru en pressant le troupeau pour le ramener d’are-d’are au village. Ils ont rencontré Catherine en chemin, trempée, qui marchait vers eux malgré l’orage. Pas eu le temps de bavarder ! Aussitôt rentrés, la mère et l’enfant ont été chez eux se sécher et se changer. Des brebis toussaient dans les bergeries.
Sébastien n’a plus revu Catherine et Michael de la soirée, ni les jours suivants.
5
Dans une petite rue de Nivéole, le beau cheval martèle le sol de ses sabots sonores; assis devant le cavalier qui le monte sans selle, un enfant se cramponne comme il peut. Michael est fier de son allure! Un vrai cow-boy!
- C’est quand que tu m’achèteras un poulain ?
Jean-Louis l'aide à maintenir correctement les rênes.
- Quand tu seras plus grand… ! Et quand ta mère sera d’accord.
- (En pivotant la tête pour regarder Jean-Louis:) Elle sera jamais d’accord ! Elle dit que c’est trop dangereux.
- Je la ferai changer d’avis !
Le garde et son élève passent devant la bergerie toute bêlante de Sébastien; le panneau supérieur de la porte en est ouvert. Ils s’arrêtent. Odeur piquante ammoniacale du fumier tiède. Vibration sonore du vol des mouches emplissant le local. A l’intérieur, le berger procède à la tonte d’une brebis. La bête est maintenue couchée sur le dos à même le sol entre les jambes du berger. Il lui tond le ventre avec un appareil électrique. Un énorme sac de jute (trois Michael pourraient y entrer), à demi rempli, à l’ouverture qui baille, attend à côté. Lambeaux de laine par terre. Odeur suintante de lanoline. Le berger lève la tête, exhibant sa barbe piquée de quelques brins de paille :
- Jean-Louis ! Michael ! Deux cow-boys… ! Comment allez-vous ?
Le garde et l’enfant répondent à l’unisson :
- Ça va !
- C’est ça qu’i faut ! Alors ? Mic, te voilà cavalier ?
- Jean-Louis va m’acheter un poulain !
- Quand ta mère sera d’accord ! rectifie Jean-louis.
- Il faut l’accord de la maman, approuve Sébastien...
- Si elle est pas d’accord, Jean-Louis l’a fera changer d’avis, certifie l’enfant.
- Il la fera changer d’avis ! Et je l’y aiderai !… Où allez-vous comme ça ?
- On va faire un petit galop sur le G.R., jusqu’à la Bégude Blanche.
- Belle promenade !… Moi, je vais encore en tondre une ou deux, puis je les sortirai… Je crois que je vais aller du côté du réservoir… Vous m’y verrez peut-être à votre retour…
La frimousse du garçonnet s’anime :
- Pourquoi tu les tonds ? pour vendre la laine ?
- Quand tu as chaud, tu tombes le pull-over ! répond Sébastien. Pour les brebis, c’est pareil ! Une fois l’an, elle quitte leur pull-over ! Quant à la laine, je la vends mais on m’en donne pas grand-chose… Si je payais quelqu’un pour les tondre, il me faudrait la laine de sept ou huit brebis pour payer la tonte d’une ! On m’en donne le prix d’un timbre-poste !
- On peut faire un pull-over avec la laine d’un seul mouton ?
- Une brebis a un kilo cinq cents en moyenne de laine… Je sais pas ce qu’il faut pour faire un pull-over ! Tu demanderas à Catherine... Ah ! mais elle est peut-êt’ pas tricoteuse ?... Mais le cheval s’impatiente… Je veux pas vous retenir. Eh bien ! bonne promenade, hé !
- A plus Sébastien ! fait Jean-Louis.
- A plus Sébastien ! fait Michael, sur le même ton.
Le village a disparu derrière les collines. Jean-Louis et Michael sont désormais isolés sur le cheval qui va au trot sur un sentier étroit. Des champs de céréales et de luzerne, en contrebas, entre les haies de petits arbres ou de ronces, s’agitent, houle légère et colorée portée par la brise. Les céréales sont mûres. Avoine, seigle, orge, triticale et blé coordonnent une déclinaison de la couleur paille.
- C’est bien ton travail, parce que tu protèges les animaux ! complimente l’enfant.
- Les animaux et la nature !… Quand j’étais enfant, je voulais faire un métier dans la nature… Et le causse m’a toujours fait rêver ! (Un temps puis, grave :) Mais je ne sais pas si les parcs servent encore à quelque chose… et si moi-même je sers à quelque chose !
L’enfant est sceptique :
- Pourquoi tu dis ça ?
- Parce que notre société va à l’encontre de la préservation de la nature. Notre causse, c’est une petite Amazonie fragile, tu sais, un îlot presque vierge… Pense un peu…, c’est le territoire le moins peuplé de France !
Michael conteste :
- C’est pas une Amazonie ! L’Amazonie, c’est une forêt géante…, et il y a de l’eau ! ici, c’est le désert !
- C’est le désert…, mais comme l’Amazonie, c’est un territoire peu peuplé où l’homme vit encore en parfaite entente avec le milieu. Tu comprends… ? La nature y est sauvage, peu aménagée… Puis tu sais, autrefois, à l’époque préhistorique, le causse était recouvert d’une immense forêt de chênes, non pas de sapins…mais de chênes. Les sapins que tu vois, là-bas sur les hautes collines, ils ont été plantés il y a trente ans.
- Plantés ? il y a trente ans ?
- Oui. Mais le sapin n’est pas une essence qui convient au causse… Le reboisement avec ce conifère est stupide. Il a pour seule raison des intérêts économiques. Les propriétaires de ces terrains sont de grosses sociétés qui veulent faire du bizness…
- Des sociétés ?
- Eh oui ! Des sociétés d’assurances, des banques…
L’enfant n’en croit pas ses oreilles :
- Des banques… ?
- Eh oui, des banques !… Le sapin pousse vite. L’exploitation en est facile et c’est au détriment des éleveurs, parce que le sapin grignote peu à peu les herbages. (Il rit :) Maintenant, devant l'invasion sauvage du sapin, on interdit le reboisement et on paie les caussenards pour arracher chaque arbrisseau qui bouffe la lande ! On essaie de réparer une belle connerie !
- Mais… ? Pourquoi y a plus de chênes ?
- Il y a bien longtemps que les hommes ont coupé les arbres… ! pour se chauffer ou faire de la place pour des pâturages…
- Pour se chauffer ?
- Pardi ! L’homme n’a pas toujours utilisé le charbon, le pétrole ou l’énergie nucléaire ! Le bois était le seul moyen de chauffage… Et avec le développement de l’élevage, il leur fallait éclaircir, faire de l’herbe… Les moutons ont remplacé les chênes. Ce sont ces hommes du passé qui ont changé le paysage d'avant. Ça a été une première agression, c’est vrai, contre cette petite Amazonie… Mais enfin, la nature n’était pas en danger...
- Moi, j’aurais préféré la forêt !
- C’était la forêt ou les moutons !
- Alors non ! Je choisis les moutons !
- En tout cas, sur la lande, les moutons sont préférables au béton et aux touristes !
...
...Après cette déforestation nécessaire, il y a eu une accommodation naturelle… A notre époque moderne, au contraire, les aménageurs sont des destructeurs de l’environnement. Regarde : le causse du Larzac ! une autoroute qui le traverse ! Complètement débile ! C’est un causse foutu, jeté en pâture au touristes.
- Sur le causse, ce sont les Suisses, les aménageurs ?
- Pas seulement ! Et d’abord, ils ne sont pas encore là, que diable !
- Serge ?
- Il est complice… mais il n’est pas seul, Mic. Beaucoup d’intérêts sont en jeu. La politique, l’argent… Et d’autres caussenards sont avec lui. je crois que la moitié du causse est pour!
Puis, changeant brusquement de ton :
- Cramponne toi ! (Sur ces mots, il donne du talon aux flancs du cheval qui part au galop.)
En avant !
- En avant ! fait Michael.
L'enfantl crie de joie et rit à gorge déployée. Devant lui, tout près de son buste secoué par le galop, la crinière ondule gracieusement... L’effluve du cheval, dont une mousse épaisse et jaune dégouline du museau, enivre le tout jeune cavalier.
De retour de leur ballade équestre, Jean-Louis et le petit montent vers « le réservoir », la citerne où arrive, par canalisation et pompages, l’eau du Mont Aigoual (quelque 20 kilomètres à vol d’oiseau), qui coule aux robinets du causse. Depuis peu, il a fallu « conformer » aux normes européennes l’eau de ce réservoir en la traitant - ou plutôt en la maltraitant -, par l’ajout régulier de chlore (Jean-Louis est chargé de cette sinistre besogne), qui donne un goût infect à une eau des montagnes « qui était pourtant si bonne ! ». Des cailloux plus clairs marquent, tel une balafre de la modernité, la canalisation qui apporte l’eau de l’Etat. Sur ce « karst » (nom rugueux que je trouve cependant très beau, dont les géologues ont baptisé les massifs calcaires), où pluie ou neige fondue qui s’infiltrent instantanément va enfler les rivières souterraines temporaires ou pérennes, nul cours d’eau n’existe en surface. Les brebis ont cependant toujours eu les lavognes, quelques mares aussi rares que précieuses, qui doivent leur existence à une couche d’argile providentielle, un tapis parfaitement imperméable qui peut coller à la surface d’une dépression creusée par l’érosion ; elles peuvent atteindre vingt mètres de large. Les lavognes sont alimentées par les pluies et séchées par le soleil. Jusque dans les années soixante, les caussenards s’abreuvaient à quelques sources, et l’eau pluviale de leurs citernes familiales remplissait leurs abreuvoirs. Le modernisme a apporté tardivement eau courante, électricité et téléphone - après 1960. Cinq mille ans d’économie pastorale se sont succédés sur les Grands Causses ; cinq millénaires de vie rude et harmonieuse avec les plateaux inhospitaliers et presque dépourvus d’eau... De cette symphonie pastorale qui se joue en boucle depuis la nuit des temps, le berger de Nivéole est l’un des chefs d’orchestre, nommé par cooptation ; ses gestes sont des gestes séculaires, transmis de génération en génération, commandés par la psychologie des moutons et non élaborés par le génie humain. En guise de baguette, ce chef a un bâton, qui est aussi un fouet - les brebis ont parfois besoin d’être fouettées, comme la mère de Michael ! La hauteur du soleil donne le tempo. La couleur du ciel commande le flux émotionnel. Les moutons ont leur maître, leur maestro, mais ce sont eux qui forment le berger et non le contraire. Les brebis savent ce qu’elles veulent, ceux dont elles ont besoin... Le berger doit s’y conformer. Le chef a son rôle mais l’orchestre pastoral connaît la partition. Et les brebis savent l’entraîner là où il n’a peut-être pas prévu de les conduire. Pas toujours maître du mouvement, il en saura toutefois orienter intelligemment la tendance.
- Alors, cette cavalcade ? s’enquiert Sébastien, jovial.
- Belle promenade !
- C’était génial ! assure l’enfant.
- C’est ça qui’faut ! approuve Sébastien. Michael, écoute-moi ! j’ai quelque chose qui va t’intéresser, quelque chose à te dire, hé... Tu te rappelles notre vipère, la pauvre vipère que j’ai dû occire pour te sauver la vie ? Hé bien ! sache que je viens de trouver la niche d’une vipère magnifique, avec une tête grosse comme ça (il fait un œuf avec le pouce et l’index) !
- Où ça ? fait le garçon, les yeux tout ronds.
- Tu devineras pas... Toi non plus, Jean-Lou ! ...Tout en bas de la vieille ruine, à l’entrée du village en arrivant d’ici, avant la bergerie. Ce matin, vers onze heures, onze heures quinze, quand j’avais mis les brebis à la luzerne, en contrebas, je vais pisser à l’angle de la murette, et qu’est-ce que je vois ? ou plutôt qu’est-ce que j’entends ? Zzz !Zzz ! Je regarde et à deux pas de moi : un trou dans la terre, sous les pierres sèches, au ras du sol... avec une tête de vipère qui se dresse, qui me regarde... C’est sa niche.
- Et tu vas la tuer ?
- Mais non, proteste Jean-Louis.
- Pas fou, Mic ? Je vais pas la tuer ! Je vais l’observer, tous les jours...
- Et les moutons ? elle peut piquer un mouton !
- Je ferai attention ! Je les surveillerai pour qu’ils ne s’approchent pas de la ruine... Les vipères ont le droit de vivre. Le causse est aussi à eux ! Pas vrai Jean-Lou ?
- Tu me montreras où elle niche, ça m’intéresse.
Dans les jours qui vont suivre, chaque matin, Sébastien ira à la vieille ruine, au moment exact où le premier rayon de soleil apparaîtra de derrière les collines, à l’est, pour atteindre l’antre de la vipère ; il la verra s’éveiller, hisser son cou avec un mouvement à peine perceptible pour goûter avec délectation à la chaleur venue du faîte des collines. La cohabitation durera tout l’été, chacun restant dans son domaine sans piétiner celui du voisin...
A suivre...
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