Histoires en livres scènes images et voix

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Le Vol des vautours - Episodes 17 et 18

Adaptation littéraire du scénario éponyme déposé à la SACD en 2001

  © 2011 - Rémi Le Mazilier

  Tous droits réservés

 

 

 

 

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17 

 

  

 

 

 

Une longue clôture de fils de fer quadrillés court sur la lande. Des moutons broutent, paisibles. Sonnailles discrètes. Calme caussenard d’une fin d’après-midi. Le vélo tout-terrain de Michael est couché sur le sol, près de la clôture. L’enfant, la casquette sur le crâne, rampe le long de la pâture. Vol silencieux de vautours dans le ciel. Se mouvant sur le ventre tel un sioux aux aguets, le garçonnet arrive à un endroit où la clôture est pourvue d’un crochet qui en permet l’ouverture. Des brebis observent l’enfant avec curiosité, avec cette allure niaise mais sympathique qui caractérise les moutons étonnés. Quelques bêtes secouent violemment une patte, comme si une guêpe les avait piqués ; peut-être un tic nerveux, provoqué par la présence de l’intrus dont elles ne savent ce qu’il leur veut. Le garçon se dresse et décroche la clôture dont il ouvre largement le passage puis fait des signes aux brebis.

- Pssst ! pssst ! Allez ! dehors !

 

Les brebis hésitent, bêlent. Quelques unes approchent de la porte, toisent l’enfant, hésitent encore et se décident enfin à la franchir. D’autres suivent, d’autres encore, de plus en plus précipitamment. En quelques minutes, le troupeau entier sort de l’enclos en courant dans un grand brouhaha de sonnailles et de bêlements. Michael agite en l’air sa casquette.

- You-You ! Allez ! You-You !

 

La rivière de laine s’élargit en martelant le sol, allant droit devant elle pour s’écouler dans la lande. L’enfant applaudit à tout rompre.

 

...

 

La nuit est dehors. Sur le canapé du salon, Michael tient un livre d’école ouvert sur les genoux. Il semble concentré par sa lecture. A ses côtés, sur le canapé, le chaton Souris va et vient, s’intéressant au livre, l’effleurant d’une patte, sollicitant qu’on joue avec lui (ou quémandant une caresse ?). Catherine fait la vaisselle dans la cuisine dont la porte est ouverte. Bruits de casseroles qui s’entrechoquent. Elle a quelque chose à dire à son fils. Les mains dans l’évier, elle tente...

- Des gens de Hurlyas et de Drizas sont à la recherche des brebis de Sébastien… Il faudra peut-être la nuit pour les retrouver toutes ! Et certaines se sont mélangées avec celles de Léotard. Quelqu’un a ouvert la clôture.

...

...Un randonneur peut-être.. ?

 

Michael s’enfonce davantage dans le canapé en se cachant derrière son livre.

 

- Ou un gamin… ?

...

...Les conséquences pourraient être graves… ! Imagine qu’on ne retrouve pas toutes les brebis. C’est autant d’argent de perdu pour Grégoire… Et il n’a pas besoin de ça en ce moment ! Et puis, c’est tout un travail que de séparer les brebis de deux troupeaux !

...

...Tu m’entends Mic ?

 

Derrière son livre, l’enfant acquiesce à sa manière :

- Mmh ! mmh ! (oui, je t’entends !)

 

 

 

 

 

 

18

 

 

 

 

Ce soir-là, le dîner pouvait être joyeux : le berger de Nivéole était rentré d’hôpital. Ce qui n’empêchait pas Catherine de reprendre son fils par un « Ôte ce chat de là ! ». Sébastien était à sa place, en bout de table, avec Michael et la mère sur sa gauche, Grégoire, toujours à sa droite et face à Catherine. Marie-Jo tournait le dos à la table, debout devant la cuisinière à gaz. Devant les assiettes vides et propres, Michael jouait avec Souris qui gambadait sur la table. Devant l’injonction de sa mère, Michael saisit le chaton et le posa sur ses genoux.

- Allez ! Marie-Jo, servez-nous la soupe ! fit entendre le rescapé, de sa voix de ténor.

- Oui ! oui ! ça arrive ! A l’hôpital, il te fallait bien attendre, hé ?

 

Bruit de moteur de voiture jusque dans la cour, sous la fenêtre de la cuisine.

- Tiens ? qui ça peut être ? s’étonnait Grégoire.

 

Sébastien quitta sa chaise, s’approcha de la fenêtre, regarda dans la cour.

- C’est Eugène… ! Il veut que j’aille chercher les brebis ? (A Marie-Jo et à Grégoire) Vous lui avez dit que je sortais aujourd’hui ?

 

- Moi, j’ai rien dit ! se défend le vieil homme.

- J’ai pas eu le temps de l’appeler ! dit Marie-Jo.

 

Michael mit son grain de sel :

- Il est méchant, lui ! Il est pour les Suisses !

- Et il emprisonne nos brebis dans ses clôtures ! surenchérit Sébastien.

 

Marie-Jo répliqua sans se retourner :

- Hé bée ! heureusement qu’il a pu nous les garder !

- Si c’est pour nous parler des Suisses, je l’expédie illico !

- On mettra une bombe à la mairie ! s’excitait l’enfant.

- Cesse de dire des sottises ! gronda la mère, et laisse ce chat ! Marie-Jo va servir la soupe. 

 

Michael lâcha Souris qui se reçut sur le sol. Deux coups étaient frappés vigoureusement à la porte du seuil. Le maire Eugène pénétra dans la cuisine, venant du vestibule. Grégoire l’accueillit de sa chaise.

- Alors… ? Vous vouliez voir Sébastien ?

- Je suis à peine de retour que tout le Causse est au courant…! soulignait le berger.

- Bonsoir à tous ! ...Je voulais saluer le convalescent.

- Une visite électorale ! Liberté, égalité, fraternité… ! Liberté… sauf pour les brebis ! Les brebis, dans les clôtures… ! Qui t’a dit que je sortais d’hôpital ?

 

Marie-Jo à Eugène, s’excusant :

- Il n’est rentré que ce midi et ça n’a été décidé qu’hier… Je n’ai pas eu le temps de vous le dire.

- J’ai vu Marcel à la mairie.

 

Eugène serra la main aux adultes et, comme à son habitude, caressa le crâne de l’enfant qui réagit hostilement, fidèle à lui-même :

- T’es content, petit berger, de retrouver Sébastien ?

- Asseyez-vous… ! invita Grégoire.

- Tu veux nous rendre notre troupeau ? dit Sébastien.

 

Marie-Jo posa une gamelle sur la table et versa dans les assiettes que l’on se fit passer l’inévitable soupe de pâtes qu’elle contenait.

- Vous avez mangé ? demanda Marie-Jo.

- Pas encore, mais ce sera pour plus tard. merci, Marie-Jo.

-...Parce que, si vous voulez, je vous sers la soupe ?

- Ça ira, Marie-Jo. Je souperai avec la patronne ! (Puis, se retournant vers Sébastien) Toi d’abord… ! Et cette blessure ?

- Pour une volée de plombs, c’était une belle volée ! Du douze, hé ! commenta le berger, sur un ton coloré. (Puis, faisant une œillade à Michael, sur le ton badin) Il s’est peut-être trompé ? il aurait peut-être voulu me liquider avec de la chevrotine ? ...Les vautours commençaient à tourner, là, au-dessus… (mimique amusante) Ils voulaient me bouffer les salauds ! Mais ce sera pour une autre fois ! (Clin d’œil à Michael) Je veux bien leur donner ma carne, mais pas pour tout de suite ! ils attendront !

-Triste histoire ! Mais tu t’en seras bien tiré !

- Trop bien pour certains qui auraient bien voulu que je crève à l’hosto ! Mais le causse m’a rendu justice, pas vrai ?

- Tes brebis ne me dérangent pas… Tu viendras les chercher quand tu voudras.

- Et les Suisses ? demanda l’enfant.

- Hé ! le petit, i’ veille sur le causse ! se félicitait Sébastien. Et c’est une bonne question ! Ç’en est où cette affaire ?

- Tu seras content, Sébastien ! Serge n’avait signé qu’une promesse de vente… Suite au décès, le domaine est tombé en indivision. Tout est bloqué. Et il faudra que les héritiers se mettent d’accord.

- Il n’avait pas vendu ?

- Il n’avait pas vendu… Et tu vas être encore plus content… Les promoteurs ont dénoncé le protocole de vente. Ils abandonnent le projet !

- Tu déconnes… (en écarquillant les yeux) ?

- C’est la vérité toute nue, Sébastien !

- Alors là, Eugène, tu me fais plaisir !... (Pétillant) Marie-Jo ! servez un apéritif au maire !

- Alors, on mettra pas de bombe à la mairie ! décida l’enfant.

 

Grégoire sourit et péta.

- C’est Grégoire qui fait péter ses bombes ! répondit Sébastien sur un ton guilleret. Avec celle-là, tout le monde se tire !

 

...

 

Derrière le comptoir, l’aubergiste Marcel préparait des apéritifs sur un plateau. Sa femme Pierrette était à côté. Cédric, le fils, en tenue « nœud-pap », cheveux gominés, attendait le plateau.

- Il a réussi à faire tout capoter ! maugréait l’aubergiste.

- Adieu le stade de foot à Ferma ! fit l’adolescent, avec ironie.

- Cesse de dire des conneries ! Je perds mes pensionnaires stagiaires de vol à voile !

- Le projet a un coup dans l’aile… et tes pensionnaires s’envolent ! (Cédric ricana de ses bons mots.)

- T’es malin ! Y a pas de quoi rire ! Faut faire tourner la maison, Cédric ! Les affaires sont déjà pas faciles.

- Tu as fait une bonne saison mon amour ! dit Pierrette en souriant. (Elle lui posa un baiser sur le coin des lèvres.) Faudra revoir ce projet d’étape équestre.

 

Marcel haussa les épaules :

- Pffuit ! Sébastien est contre et d’autres le suivront…! Il a pas fini de nous mettre des bâtons dans les roues, celui-là !

 

...

 

A la ferme, Eugène tenait à la main un verre contenant un apéritif, un vin doux du sud-ouest qui ne sortait que rarement du placard de Marie-Jo.

- En attendant, soulevait-il, intrigué, je ne sais toujours pas quel est l’énergumène qui a ouvert la clôture, l’autre mercredi… ! Si je le tenais ce saligaud, il passerait un mauvais quart d’heure !

 

Sébastien regardait du coin de l’œil Michael ; il se doutait que l’enfant était « l’énergumène » :

- Ça leur a fait un peu de vacances à nos brebis ! Moi, si je rencontrais celui qui a fait ça, je lui dirais merci !

 

Grégoire protesta en grimaçant.

 

- Toi…, toi… ! contestait Marie-Jo, c’est pas toi qui a eu la peine d’aller récupérer notre troupeau ! Et ça aurait pu mal se terminer !

- Et ça c’est bien terminé ! Celui qui a fait ça, c’est pas un salaud ! (En regardant Michael) Les salauds, ce sont ceux qui plantent des clôtures sur la lande, hé ? (A Eugène) Je dis pas ça pour toi, Eugène ! Tu nous as rendu service et je t’en remercie sincèrement ! (A Marie-Jo) Resservez de l’apéro au maire.

- Non, non ! Ça ira ! (Eugène finit son verre, le posa sur la table, se leva.) Voilà ! Eh bien… ! je vais rentrer… Content de t’avoir vu, Sébastien !

 

Il fit un salut collectif et se retira.

 

- Tu es content, Sébastien ? Les Suisses ont renoncé ! dit Grégoire en esquissant un sourire.

- Youppie! se déchaîna l’enfant.

- Et vous ? vous êtes triste ?

- Ho ! moi je m’en fous… ! (Puis, après un bref silence) tiens, regarde dans le tiroir, je t’ai aiguisé ton Laguiole...

 

La patronne, sur un ton sérieux empreint de gravité, requit l’attention de son berger :

- Il a quelque chose à te dire à propos du troupeau. (Elle parlait de Grégoire)

 

Regard inquiet de Sébastien. Il fixa Grégoire yeux dans les yeux.

- Allez-y ! lança-t-il gravement.

- Je veux te dire que…

 

Il péta bruyamment sans faire cas.

 

- Il a pété ! Il a pété ! fit Michael, que les flatulences sonores du vieil homme ne cessaient d’amuser..

- Chut ! Mic, tais-toi ! (La mère, bien sûr !).

- C’est ça que vous avez à me dire ? fit Sébastien.

- J’ai parlé avec Marie-Jo du troupeau… Ça fait quelques années que je pense à vendre… Tu comprends…, c’est pas rentable ! La vente des agneaux couvrent à peine ton salaire avec les charges…

- Alors, vous vendez ? Vous êtes si pressé ? Vous n’attendez plus la saint Michel pour prendre votre décision ?

 

Traditionnellement, au pays, de générations en générations, les éleveurs embauchaient leur berger le 29 septembre, à la saint Michel, à la foire de Meyrueis, au pied du causse. Pour une année de date à date. Aucun contrat de travail sur papier : on tapait dans la main après s’être accordés sur les conditions. Grégoire avait dit à Sébastien, trente six ans plus tôt : « J’ai besoin d’un berger. Tu seras nourri, logé, et je te donnerai ça et ça pour ton salaire... ». L’accord fut scellé paume sur paume. Le contrat a été renouvelé année après année, à la saint Michel, le soir, à l’issue de l’unique journée de congé du berger...

 

- Justement…, la foudre nous a pris quarante-neuf brebis…, on sera bien indemnisé…et le troupeau est plus petit. Ça te fera moins de travail…, alors, je crois qu’on peut continuer encore une année !

- Une année ou deux…, conforta la patronne.

- C’est sûr ce que vous dîtes, Grégoire ?

- Faudra te trouver un nouveau chien.

- Léonard a téléphoné tantôt, dit Marie-Jo. Il connaît quelqu’un à Saint-Hippolyte-du-Fort qui aurait un chien à te donner.

 

La fenêtre de la cuisine de Marie-Jo dessinait son rectangle blafard dans la nuit. Les ruelles du village étaient désertes. De l’auberge illuminée sortait, un peu étouffée par les murs, la musique d’accordéon de Cédric. La mélodie qui faisait recette : «Étoile des neiges ». Des convives chantonnaient en chœur. Autour de la terrasse froide, les herbes mouillées de rosée étincelaient sous la lune gibbeuse.

 

A suivre...

 

 



07/06/2020
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